Le Corbeau (poème)

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Pour les articles homonymes, voir Le Corbeau et Raven.

Le Corbeau (poème)
Prospectus de la traduction de Stéphane Mallarmé illustrée par Édouard Manet, publiée par Richard Lesclide en 1875.
Informations générales
Titre
The RavenVoir et modifier les données sur Wikidata
Auteur
Edgar Allan PoeVoir et modifier les données sur Wikidata
Pays d'origine
États-UnisVoir et modifier les données sur Wikidata
Publications
New York Mirror, The American Review: A Whig JournalVoir et modifier les données sur Wikidata
Éditeur
New York MirrorVoir et modifier les données sur Wikidata
Date de publication
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Type
Adapté de
LénoreVoir et modifier les données sur Wikidata
Contenu
Incipit
« Once upon a midnight dreary, while I pondered, weak and weary,… »Voir et modifier les données sur Wikidata
Explicit
« …Shall be lifted — nevermore! »Voir et modifier les données sur Wikidata

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Le Corbeau (titre original : The Raven) est un poème narratif de l'écrivain américain Edgar Allan Poe. Il compte parmi ses textes les plus évocateurs et assoit sa réputation dans le monde anglophone. Il paraît pour la première fois le dans le New York Evening Mirror. D’une grande musicalité, empreint d'atmosphère irréelle mais obéissant à une stricte métrique, il raconte la mystérieuse visite nocturne que reçoit un narrateur durablement accablé par la mort de Lenore, sa bien-aimée. Un corbeau entre chez lui par la fenêtre et se perche sur un buste de la déesse Pallas, au-dessus de la porte d'entrée. Il répète inlassablement « Jamais plus » (« Nevermore »), ce qui plonge le narrateur dans un désarroi si fort qu'il sombre dans la folie. Le poème utilise un grand nombre de références classiques et folkloriques.

Dans son essai La Philosophie de la composition publié en 1846, Poe explique avoir écrit ce poème de façon logique et méthodique, dans la double intention de satisfaire la demande populaire et de séduire les critiques. Le poème s'inspire en partie du roman Barnaby Rudge de Charles Dickens, où intervient un corbeau qui parle. Poe emprunte au poème d'Elizabeth Barrett Browning La Cour de lady Geraldine (Lady Geraldine's Courtship) son rythme et sa métrique complexes. De plus, il utilise des rimes internes et de nombreuses allitérations.

Le poème fait l'objet de plusieurs traductions françaises, dont les deux premières datent de 1853[1].

Il inspire bon nombre de créations littéraires, musicales ou cinématographiques.

Résumé

Par une nuit lugubre et glaciale de décembre, le narrateur somnole en parcourant plusieurs livres de « savoir oublié ». Il espère dissiper le chagrin provoqué par la mort de Lenore, sa bien-aimée. Quelqu'un tapote à la porte. Ce bruit finit par le tirer de sa torpeur - c'est quelque visiteur, et rien de plus... Après quelques mots d'excuses pour son retard, il ouvre la porte mais n'aperçoit que les ténèbres. Il murmure le nom de Lénore, seul l'écho lui répond.

De retour dans sa chambre, l'âme embrasée, il entend un bruit plus fort contre le volet. Ce n'est sûrement que le vent... Il ouvre la fenêtre pour « élucider ce mystère ». Alors sans faire attention à lui, un corbeau majestueux entre d'un battement d'ailes et se perche au-dessus de la porte, sur un buste de la déesse grecque Pallas.

La posture grave et sévère du corbeau fait sourire le narrateur, qui lui demande son nom. Le corbeau répond : « Jamais plus » (« Nevermore »).

Bien qu'il soit étrange qu'un corbeau appelé « Jamais plus » reste immobile au-dessus de sa porte d'entrée, le narrateur admire sa faculté de compréhension. Mais dès demain l'oiseau se sera envolé, comme d'autres amis avant lui. Le corbeau rétorque : « Jamais plus ».

Le narrateur pense que ce « Jamais plus » est la seule expression que le corbeau connaisse (« son unique fonds de commerce »), apprise très probablement d'un maître malheureux. Il s’assied face à lui, essayant de deviner le sens de « Jamais plus ». Son esprit vagabonde vers sa Lenore perdue. L'air se fait plus dense, des anges agitent un invisible encensoir. Il demande à l'oiseau, ce « prophète » et cette « créature du mal », s'il n'est pas envoyé pour lui apporter un breuvage enivrant (« le nepenthes ») ou une onction apaisante (« le baume de Galaad »). Le corbeau répond : « Jamais plus ».

Il interroge encore l'oiseau : reverra-t-il Lenore au lointain paradis ? Le corbeau croasse « Jamais plus », il lui crie de retourner à son « rivage plutonien ». Le volatile ne bouge pas. Le narrateur doit se résigner à ce que, sous l'ombre du corbeau démoniaque, son âme ne puisse « jamais plus » s'élever.

Texte en anglais

The Raven - Edgar Allan Poe

Once upon a midnight dreary, while I pondered, weak and weary,
Over many a quaint and curious volume of forgotten lore —
While I nodded, nearly napping, suddenly there came a tapping,
As of some one gently rapping, rapping at my chamber door.
« 'Tis some visiter », I muttered, « tapping at my chamber door » —
Only this and nothing more.

Ah, distinctly I remember it was in the bleak December ;
And each separate dying ember wrought its ghost upon the floor.
Eagerly I wished the morrow ; — vainly I had sought to borrow
From my books surcease of sorrow — sorrow for the lost Lenore —
For the rare and radiant maiden whom the angels name Lenore —
Nameless here for evermore.

And the silken, sad, uncertain rustling of each purple curtain
Thrilled me — filled me with fantastic terrors never felt before ;
So that now, to still the beating of my heart, I stood repeating
« 'Tis some visiter entreating entrance at my chamber door —
Some late visiter entreating entrance at my chamber door ; —
This it is and nothing more. »

Presently my soul grew stronger ; hesitating then no longer,
« Sir, » said I, « or Madam, truly your forgiveness I implore ;
But the fact is I was napping, and so gently you came rapping,
And so faintly you came tapping, tapping at my chamber door,
That I scarce was sure I heard you » — here I opened wide the door ; —
Darkness there and nothing more.

Deep into that darkness peering, long I stood there wondering, fearing,
Doubting, dreaming dreams no mortal ever dared to dream before ;
But the silence was unbroken, and the stillness gave no token,
And the only word there spoken was the whispered word, « Lenore ? »
This I whispered, and an echo murmured back the word, « Lenore ! » —
Merely this and nothing more.

Back into the chamber turning, all my soul within me burning,
Soon again I heard a tapping somewhat louder than before.
« Surely, » said I, « surely that is something at my window lattice ;
Let me see, then, what thereat is, and this mystery explore —
Let my heart be still a moment and this mystery explore ; —
'Tis the wind and nothing more ! »

Open here I flung the shutter, when, with many a flirt and flutter,
In there stepped a stately Raven of the saintly days of yore ;
Not the least obeisance made he ; not a minute stopped or stayed he ;
But, with mien of lord or lady, perched above my chamber door —
Perched upon a bust of Pallas just above my chamber door —
Perched, and sat, and nothing more.

Then this ebony bird beguiling my sad fancy into smiling,
By the grave and stern decorum of the countenance it wore,
« Though thy crest be shorn and shaven, thou, » I said, « art sure no craven,
Ghastly grim and ancient Raven wandering from the Nightly shore —
Tell me what thy lordly name is on the Night's Plutonian shore ! »
Quoth the Raven « Nevermore. »

Much I marvelled this ungainly fowl to hear discourse so plainly,
Though its answer little meaning — little relevancy bore ;
For we cannot help agreeing that no living human being
Ever yet was blessed with seeing bird above his chamber door —
Bird or beast upon the sculptured bust above his chamber door,
With such name as « Nevermore. »

But the Raven, sitting lonely on the placid bust, spoke only
That one word, as if his soul in that one word he did outpour.
Nothing farther then he uttered — not a feather then he fluttered —
Till I scarcely more than muttered « Other friends have flown before —
On the morrow he will leave me, as my Hopes have flown before. »
Then the bird said « Nevermore. »

Startled at the stillness broken by reply so aptly spoken,
« Doubtless, » said I, « what it utters is its only stock and store
Caught from some unhappy master whom unmerciful Disaster
Followed fast and followed faster till his songs one burden bore —
Till the dirges of his Hope that melancholy burden bore
Of "Never — nevermore".»

But the Raven still beguiling my sad fancy into smiling,
Straight I wheeled a cushioned seat in front of bird, and bust and door ;
Then, upon the velvet sinking, I betook myself to linking
Fancy unto fancy, thinking what this ominous bird of yore —
What this grim, ungainly, ghastly, gaunt, and ominous bird of yore
Meant in croaking « Nevermore. »

This I sat engaged in guessing, but no syllable expressing
To the fowl whose fiery eyes now burned into my bosom's core ;
This and more I sat divining, with my head at ease reclining
On the cushion's velvet lining that the lamp-light gloated o'er,
But whose velvet-violet lining with the lamp-light gloating o'er,
She shall press, ah, nevermore !

Then, methought, the air grew denser, perfumed from an unseen censer
Swung by seraphim whose foot-falls tinkled on the tufted floor.
« Wretch, » I cried, « thy God hath lent thee — by these angels he hath sent thee
Respite — respite and nepenthe, from thy memories of Lenore ;
Quaff, oh quaff this kind nepenthe and forget this lost Lenore ! »
Quoth the Raven « Nevermore. »

« Prophet ! » said I, « thing of evil ! — prophet still, if bird or devil ! —
Whether Tempter sent, or whether tempest tossed thee here ashore,
Desolate yet all undaunted, on this desert land enchanted —
On this home by Horror haunted — tell me truly, I implore —
Is there — is there balm in Gilead ? — tell me — tell me, I implore ! »
Quoth the Raven « Nevermore. »

« Prophet ! » said I, « thing of evil! — prophet still, if bird or devil !
By that Heaven that bends above us — by that God we both adore —
Tell this soul with sorrow laden if, within the distant Aidenn,
It shall clasp a sainted maiden whom the angels name Lenore —
Clasp a rare and radiant maiden whom the angels name Lenore. »
Quoth the Raven « Nevermore. »

« Be that word our sign of parting, bird or fiend ! » I shrieked, upstarting —
« Get thee back into the tempest and the Night's Plutonian shore !
Leave no black plume as a token of that lie thy soul hath spoken !
Leave my loneliness unbroken ! — quit the bust above my door !
Take thy beak from out my heart, and take thy form from off my door ! »
Quoth the Raven « Nevermore. »

And the Raven, never flitting, still is sitting, still is sitting
On the pallid bust of Pallas just above my chamber door ;
And his eyes have all the seeming of a demon's that is dreaming,
And the lamp-light o'er him streaming throws his shadow on the floor ;
And my soul from out that shadow that lies floating on the floor
Shall be lifted — nevermore !

 

Composition

À la suite du succès de son poème, Poe rédige en 1846 un essai intitulé La Philosophie de la Composition, où il en explique la création. Bien que l'essai présente une vue d'ensemble de la théorie de la littérature de l'auteur, sa description de la rédaction semble exagérée. Il précise que chaque élément du poème suit une logique précise : le corbeau entre dans la chambre pour échapper à la tempête (un « minuit lugubre » durant un « glacial décembre ») ; le buste blanc de Pallas crée un contraste avec le plumage noir du corbeau... Il soutient que rien dans le poème n'arrive par hasard, l'auteur contrôlant tout. Même l'expression « Never more » (« Jamais plus ») est utilisée pour l'effet créé, en anglais, par le son long de la voyelles o (Poe s'est peut-être inspiré ici des travaux de Lord Byron ou d'Henry Wadsworth Longfellow). À propos du thème choisi, il ajoute que « la mort (...) d'une femme merveilleuse est incontestablement le sujet le plus poétique au monde », surtout lorsqu'elle sort de « la bouche (...) d'un amant endeuillé ».

Au-delà des aspects poétiques, cette « Lenore perdue » s'inspire peut-être de la vie de Poe, très affecté par la mort prématurée de sa mère Elizabeth Poe puis par la longue et fatale maladie de son épouse Virginia.

Poe considère Le Corbeau comme une tentative visant à « convenir en même temps au goût populaire et à celui des critiques » : il s'adapte à une majorité de lecteurs tout en flattant l'élite littéraire.

On ne sait combien de temps a pris l'écriture du poème, les spéculations allant d'un seul jour à dix ans. En 1843, Poe récite à Saratoga ce que l'on croit être l'une des premières versions du Corbeau, avec une fin différente.

Enfin, au lieu d'un corbeau une ébauche préliminaire a peut-être mis en scène une chouette, animal associé à la déesse Athéna.

Analyse

Structure et prosodie

Le poème se compose de 18 sizains. De manière générale, les vers sont des octosyllabes trochaïques. À titre d'exemple, la première ligne suit le schéma suivant ( / représente une syllabe accentuée et X une syllabe non accentuée) :

Structure syllabique d'un vers[2]
Accent tonique / X / X / X / X / X / X / X / X
Syllabe Once up- on a mid- night drear- y, while I pon- dered weak and wear- y

Poe présente le poème comme une combinaison d'octosyllabes acatalectiques (où la métrique est respectée car il ne manque aucune syllabe), d'heptasyllabes catalectiques (il manque une ou plusieurs syllabes) et de tétramètres catalectiques. La disposition des rimes est ABCBBB, ou AA, B, CC, CB, B, B si l'on prend en compte les rimes internes. Dans chaque strophe, les vers B riment avec le mot « Nevermore » ( « Jamais plus »). Le poème utilise abondamment l'allitération (« Doubting, dreaming dreams... »). Sans mettre en cause ses qualités « hypnotiques », le poète américain Daniel Hoffman (en) juge la structure et la métrique conventionnelles au point que l'œuvre en devient artificielle.

Poe reprend la structure du poème d'Elizabeth Barrett Lady Geraldine's Courtship, qu'il admire : « je n'ai jamais lu un poème combinant autant de passion violente avec autant d'imagination la plus délicate ». Il en a publié une critique en janvier 1845 dans le Broadway Journal, affirmant : « son inspiration poétique est la meilleure – nous ne pouvons rien concevoir de plus noble. Son sens de l'Art est pur en lui-même ». Mais fidèle à son esprit critique, il stigmatise son manque d'originalité et la nature répétitive de certains de ses poèmes.

Dans Le Corbeau, Poe utilise abondamment la répétition, qui traduit l'hallucination croissante du narrateur.

Il écrit ce poème comme un récit, sans vouloir créer d'allégorie ni tomber dans le didactisme. Il exploite le thème de l'amour qui ne s'éteint pas. Le narrateur éprouve un conflit entre le désir salutaire d'oublier et le besoin pervers de se souvenir, tant il prend un certain plaisir à remâcher sa douleur. Bien que « Jamais plus » (« Nevermore ») semble tout ce que le corbeau sache dire, le narrateur continue de l'interroger tout en connaissant l'immuable réponse. Ses questions ne servent donc qu'à exacerber un sentiment de regret non dépourvu de masochisme.

On ne sait pas vraiment si le corbeau a conscience de l'effet dévastateur provoqué par son refrain. Tout d'abord afffaibli et las, le narrateur éprouve un regret croissant qui devient frénétique avant de sombrer dans la folie. Le professeur de littérature Christopher F. S. Maligec voit dans le poème une sorte de paraclausithyron élégiaque, ancienne forme poétique grecque et romaine narrant la complainte d'un amant devant la porte close de sa bien-aimée[3].

Éléments-clefs

Le corbeau

Poe choisit un corbeau comme protagoniste car il désire mettre en scène une créature pouvant parler sans pour autant savoir raisonner. L'oiseau répète les mêmes mots tel un perroquet. Il précise que le corbeau incarne « l'éternel souvenir lugubre ». Il s'est aussi inspiré de Grip, un corbeau du Barnaby Rudge de Charles Dickens dont une scène en particulier évoque le poème de Poe : à la fin du cinquième chapitre, Grip fait du bruit et quelqu'un s'exclame : « Qu'est-ce que j'entends là ? N'est-ce pas lui qui tape à la porte ? », avec pour seule réponse : « Il y a quelqu'un qui frappe doucement au volet ». Grip maîtrise le langage et connaît plus d'un bon tour, tel celui de faire sauter le bouchon d'une bouteille de champagne. Poe met l'accent sur la nature extraordinaire du corbeau. Mais dans le Graham's Magazine, il critique Dickens en affirmant notamment que son corbeau aurait dû jouer un rôle plus symbolique et prophétique. Cette ressemblance entre les deux œuvres n'est pas passée inaperçue : dans Une Fable pour les Critiques, James Russel Lowell écrit ce vers : « Ici vient Poe avec son corbeau, comme Barnaby Rudge / Trois cinquièmes de génie et deux cinquièmes de pure blague ».

Poe fait probablement allusion à la mythologie nordique : deux corbeaux nommés Hugin et Munin, qui symbolisent respectivement la pensée et le souvenir, accompagnent le dieu Odin. Il s'inspire aussi de la Bible : dans l'Ancien testament, Noé envoie un corbeau blanc pour s'assurer que le déluge a cessé. Mais l'oiseau ne revient pas immédiatement dans l'arche. En châtiment, il devient noir et doit se nourrir de charognes. Dans les Métamorphoses d'Ovide, le corbeau est blanc lui aussi avant qu'Apollon lui donne sa couleur actuelle, le punissant d'avoir divulgué l'infidélité d'un |amant.

En outre, une version primitive du poème pourrait avoir mis en scène une chouette, animal lié à la déesse Athéna, et non pas un corbeau (voir supra : Composition - dernier alinéa).

Quant au refrain lancinant « Jamais plus » (« Nevermore »), son premier terme « Jamais » (« Never ») comporte la connotation négative d'un impossibilité : celle de retrouver le bonheur perdu.

Le narrateur

Dans La Philosophie de la Composition, Poe explique que le narrateur est un jeune étudiant, bien que cela ne soit pas énoncé dans le poème. Toutefois, le narrateur médite sur « maint curieux volume de savoir oublié » et un buste de Pallas-Athéna, déesse grecque de la sagesse et des maîtres d'école, surmonte la porte de sa chambre.

Tout au long du récit, il s'exprime à la première personne du singulier.

Lenore

La défunte Lenore, dont la narrateur ne peut faire le deuil, apparaît à huit reprises. Son nom se répète, de façon redoublée, à deux rimes successives des strophes 2, 5, 14 et 16.

Ce prénom semble obséder Poe. Il a publié un poème intitulé Lénore en février 1843, soit deux ans avant la parution du Corbeau.

L'au-delà

Comme dans la nouvelle Ligeia, l'ancien savoir évoqué au deuxième vers pourrait consister en magie noire ou science occulte. Plaident pour cette interprétation le choix du mois de décembre, traditionnellement associé aux forces obscures, et du corbeau, oiseau de mauvais augure. Le narrateur se persuade que le corbeau vient des « rivages de la Nuit Plutonienne », c'est-à-dire qu'il agit comme messager de l'au-delà envoyé par Pluton, le dieu romain des Enfers. L'autre monde apparaît donc comme un univers inquiétant, voire menaçant.

Références antiques ou bibliques

Au deuxième tiers du récit, le narrateur imagine que des séraphins agitant un invisible encensoir sont envoyés du Ciel pour effacer le souvenir de Lenore en utilisant du nepenthes, une drogue qui abolit la mémoire mentionnée dans l'Odyssée d'Homère.

Il réclame aussi le baume de Galaad cité dans le Livre de Jérémie (8:22) : « N'y a-t-il point de baume en Galaad ? N'y a-t-il point de médecin ? Pourquoi donc la guérison de la fille de mon peuple ne s'opère-t-elle pas ? ». Résine végétale utilisée comme plante médicinale, le baume de Galaad suggère que le narrateur a besoin d'être guéri de la souffrance provoquée par l'absence de Lenore.

Enfin, il désigne par « Aidenn », autre nom du jardin d’Éden, le paradis lointain où il pourrait étreindre sa bien-aimée.

Publication - Traduction française

Poe apporte le manuscrit du Corbeau à son ami et ancien employeur George Rex Graham. Ce dernier refuse le poème, qui n'a peut-être pas encore trouvé sa version définitive, mais lui alloue 15 dollars. Poe propose ensuite le poème à The American Review, qui lui en offre 9 dollars et l'imprime en février 1845 sous le pseudonyme de « Quarles », par référence au poète anglais Francis Quarles[4]. La première publication du poème sous le nom de Poe a eu lieu le dans l'Evening Mirror. Son éditeur Nathaniel Parker Willis le présente comme « inégalable dans la poésie anglaise pour sa structure subtile, l'ingéniosité magistrale de sa versification ». Par la suite, le poème paraît dans différents périodiques des États-Unis tels le New York Tribune (), le Broadway Journal (), le Southern Literary Messenger (), le Literary Emporium (), le Saturday Courier () et The Richmond Examiner (). Il figure aussi dans de nombreuses anthologies de poésie, tout d'abord Poets and Poetry of America édité par Rufus Griswold en 1847.

Le succès immédiat du Corbeau incite Wiley & Putnam à publier, en , un recueil de la prose de Poe sous le nom de Tales (Contes) : c'est son premier livre en cinq ans. S'ensuit, le , un recueil de poèmes intitulé The Raven and Other Poems (Le Corbeau et autres Poèmes) qui comprend une dédicace à Elizabetg Barrett, « la plus noble de son sexe ». Premier livre de poésie de Poe en quatorze ans, l'ouvrage compte 100 pages et se vend 31 cents. Dans la préface, l'auteur traite ses poèmes de « bagatelles » modifiées sans sa permission.

Le poème fait l'objet de plusieurs traductions françaises[1]. Les plus connues sont celles de Charles Baudelaire, de Stéphane Mallarmé (toutes deux en prose) et de Maurice Rollinat (en vers)[5]. Une première traduction en français a été publiée anonymement dès le , dans un article de Poulet-Malassis consacré à Poe paru dans le quotidien provincial le Journal d'Alençon. La traduction de Charles Baudelaire ne paraît que deux mois plus tard, le , à la page 43 du journal L'Artiste pour lequel l'auteur des Fleurs du mal signe régulièrement des papiers.

Illustrateurs

Les publications ultérieures du Corbeau incluent des illustrations de dessinateurs célèbres. En 1858, le poème paraît dans une anthologie britannique des œuvres de Poe avec des illustrations de John Tenniel, qui a aussi mis en images Alice au Pays des Merveilles. Il est publié en 1875 par Richard Lesclide, avec le texte original et sa traduction par Stéphane Mallarmé agrémentés d'eaux-fortes d'Édouard Manet — c'est sans doute l'édition la plus rare. On connaît aussi une édition de 1884 ornée de gravures sur bois par Gustave Doré, mort avant la publication. Beaucoup d'artistes du XXe siècle et d'illustrateurs contemporains ont été inspirés par le poème de Poe, notamment Edmund Dulac, István Orosz (en) et Ryan Price.

Réception

En partie à cause de ses deux impressions simmultanées, Le Corbeau rend presque aussitôt célèbre le nom d'Edgar Allan Poe dans son pays. Les lecteurs confondent le poète et son poème, surnommant l'auteur Le Corbeau. Le poème est rapidement réimprimé, imité et même parodié. Bien qu'elle ait fait connaître Poe du public, l'œuvre ne lui rapporte pas d'argent pour autant. L'auteur le déplorera plus tard : « Je n'ai pas gagné de sous. Je suis aussi pauvre que je l'ai été dans toute ma vie – à part pour l'espoir, qui n'est pas du tout susceptible de rapporter de l'argent ».

Le journal New World affirme : « Tout le monde lit le poème et le loue... à juste titre, pensons-nous, car il semble plein d'originalité et de force ». The Pennsylvania Inquirer le réimprime avec, comme titre, « Un poème magnifique ». Elizabeth Barrett écrit à Poe : « Votre Corbeau a fait sensation, a produit une crise d'horreur, ici en Angleterre. Certains de mes amis ont captivés de peur, d'autres par sa musique. J'entends des personnes hantées par Jamais plus ». La popularité de Poe donne lieu à des invitations à réciter Le Corbeau et à en donner des conférences privées ou publiques. Lors d'un salon littéraire, un invité observe qu'« entendre [Poe] réciter Le Corbeau (...) est l'événement de toute une vie ». Raconté par une personne l'ayant vécu : « Il éteignait les lampes jusqu'à ce que la pièce devienne presque noire, puis se tenant dans le centre de la pièce, il le récitait (...) avec une voix des plus mélodieuses (...). Son pouvoir en tant que lecteur était si merveilleux que les auditeurs avaient peur de respirer de peur que le sort ne se brise. »

Si un certain nombre d'écrivains louent le poème, tels William Gilmore Simms et Margaret Fuller, d'autres le critiquent. William Butler Yeats le juge « non sincère et commun... sa réalisation (n'étant qu') un tour rythmique ». Le transcendantaliste Ralph Waldo Emerson affirme ne rien percevoir de particulier dans le poème. Un critique du Southern Quarterly Review écrit, en , que le poème est gâché par une « extravagance sauvage et débridée ». Sous le pseudonyme d'Outis, un auteur anonyme suggère dans le journal Evening Mirror que Le Corbeau plagie un poème appelé L'Oiseau du Rêve écrit par un poète inconnu. En réponse aux accusations selon lesquelles Poe aurait imité Henry Wadsworth Longfellow, il présente dix-huit similitudes entre les deux œuvres. On a suggéré qu'Outis était en réalité l'enseignant Cornelius Conway Felton (en), voire Poe lui-même. Après la mort de Poe, son ami Thomas Holley Chivers prétend que Le Corbeau plagie l'un de ses propres poèmes, s'affirmant même inspirateur de la métrique particulière du poème et de son leitmotiv « Jamais plus ».

Des parodies fleurissent aussi, surtout à Boston, New York et Philadelphie : The Craven (Le Lâche) ; Poh ! ; La Gazelle ; L'Engoulevent bois-pourri (une espèce d'oiseau, en anglais The Whippoorwill) ; Le Dindon. Une parodie, Le Putois, retint l'attention d'Andrew Johnson, qui en envoie une copie à Abraham Lincoln : celui-ci avoue avoir ri « chaleureusement » - il n'a pas encore lu le poème mais, plus tard, l'apprendra par cœur.

Postérité

Le Corbeau influence de nombreuses œuvres littéraires.

Il inspire aussi le cinéma, la télévision, la musique, les jeux-vidéo, le sport et même des produits dérivés.

Littérature, BD, manga

Musique

  • Le poème symphonique The Raven de Joseph Holbrooke (1900).
  • La chanson The Raven d'Alan Parsons dans l'album Tales of Mystery and Imagination (1976).
  • La chanson de Mylène Farmer Allan dans l'album Ainsi soit-je... (1988).
  • La chanson My Lost Lenore du groupe de metal gothique Tristania dans l'album Widow's Weeds (1998).
  • L'album The Raven, où Lou Reed récite le poème (2003).
  • L'Opéra de chambre Le Corbeau de Julien Pinol, créé à l'Alhambra de Genève (2005).
  • Une adaptation du groupe Omnia dans Pagan folk (2006).
  • La chanson "Quoth the Raven" dans l'album "Everything remains (As it never was)" du groupe de folk métal Eluveitie (2010)
  • La chanson Enigme dans l'album du rappeur Georgio À l'abri, où des passages du poème sont lus par Helric Harker (2014).
  • La chanson Nevermore du groupe de post-hardcore américain Alesana (2014).
  • La chanson Nevermore du groupe de métal symphonique allemand Beyond the Black, dans l'album Lost in forever (2016).
  • La chanson The Raven du groupe grec de black metal Rotting Christ dans l'album The Heretics (2019).
  • La tournée des stades de la chanteuse française Mylène Farmer a pour titre Nevermore 2023 - l'affiche montre un œil de corbeau et met en abyme celle de la tournée de 1989 ; la vidéo promotionnelle fait entendre un cri de corbeau.
  • Le personnage récurrent du Corbeau dans les Annales du Disque-Monde de Terry Pratchett.[réf. souhaitée]
  • Les paroles initiales de la chanson Initials B.B. de Serge Gainsbourg.[réf. souhaitée]

Cinéma

Télévision

  • L'épisode Raisins de la série South Park.
  • La première saison de la série Les Frères Scott.
  • Un épisode de la série Beetlejuice de Tim Burton.
  • Simpson Horror Show, dans la saison 2 de la série Les Simpson.
  • Nevermore, épisode 11 de la saison 3 de la série Les 100.
  • Le Corbeau et l'incendie (A tale of Poes and fire), épisode 17 de la saison 3 de la série Gilmore Girls, où Miss Patty accueille une association de fans dont deux récitent le poème déguisés en Poe[9].
  • L'épisode 10 de la saison 3 de la série The Following, où Joe Caroll cite « Le Corbeau » avant son exécution.
  • La série de Netflix Altered Carbon, où l'hôtel tenu par un androïde nommé Edgar A. Poe s'appelle Raven.
  • Le dessin animé Ruby Gloom, où un petit corbeau très bavard du nom de Poe a deux grands frères appelés Edgar et Alan.
  • La webserie RWBY Nevermore, où un oiseau monstrueux fait référence au Corbeau de Poe.
  • La série de Netflix Mercredi de Tim Burton, où le collège fréquenté par le protagoniste s'appelle Nevermore.
  • La série de Netflix La Chute de la maison Usher de Mike Flanagan fait référence au poème Le Corbeau.

Jeux vidéo

  • World of Warcraft, où un personnage non-joueur ayant la forme d'un grand corbeau blanc se nomme Jamais Plus.
  • Fortnite, où un ensemble de cosmétique sur le thème du corbeau s'appelle Jamais Plus.
  • Guild Wars 2, où une arme legendaire en forme de bâton où se perche un corbeau se nomme Jamais Plus.

Sport

Produits dérivés

Des autocollants pour voiture représentant un corbeau ont pour légende Nevermore.[réf. souhaitée]

Illustrations

Notes et références

  • (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « The Raven » (voir la liste des auteurs).
  1. a et b « Edgar Allan Poe Society of Baltimore », sur eapoe.org (consulté le ).
  2. Poe, Edgar Allan. Edgar Allan Poe: Complete Tales & Poems. Edison, NJ: Castle Books, 2002. (ISBN 0-7858-1453-1), p. 773.
  3. Christopher F. S. Maligec, « The Raven as an Elegiac Paraclausithyron », Poe Studies, vol. 42,‎ , p. 87–97.
  4. Abe books, "Raven American Review".
  5. Le Feu follet, no 73, 15 décembre 1884, p. 296, lire en ligne sur Gallica.
  6. Mark Bryant (traduction-adaptation de Christian Séruzier), La seconde guerre mondiale en caricatures, Paris, Hugo éditions, , 162 p. (ISBN 9782755603446), p. 88.
  7. « Le corbeau fou ! », sur Picsou Wiki (consulté le ).
  8. [1], texte additionnel.
  9. « GilmoreGirls.org : Transcripts », sur www.gilmoregirls.org (consulté le ).

Articles connexes

  • Lénore (Poe)

Liens externes

Sur les autres projets Wikimedia :

  • Le Corbeau (poème), sur Wikimedia Commons
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  • Le Corbeau traduit par Stéphane Mallarmé (wikisource)
  • Le Corbeau traduit par Maurice Rollinat (wikisource)
  • (en) Adaptation du poème The Raven en libre diffusion Musique par Thanato Twist with Oleg's Sound System, film réalisé par Ed End
  • (eu) Bela, traduit par Jon Mirande, 1950
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Edgar Allan Poe (1809-1849)
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  • Lénore (1843)
  • Le Corbeau (1845)
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